Quand naquit mon chagrin
Quand naquit mon Chagrin, je le nourris avec soin et veillai sur lui avec amour et tendresse.
Ainsi grandit mon Chagrin comme toute chose vivante, fort, beau et plein de délices merveilleuses.
Et nous nous aimâmes l'un l'autre, mon Chagrin et moi; et nous aimâmes le monde qui nous entourait; car mon Chagrin avait un cœur aimable, et mon cœur était aimable grâce à mon Chagrin.
Et quand nous conversions, mon Chagrin et moi, nos jours étaient ailés et nos nuits étaient enveloppées de rêves; car mon Chagrin était éloquent, et grâce à mon Chagrin, je devins moi aussi éloquent.
Et quand nous chantions ensemble, mon chagrin et moi, nos voisins se mettaient à leurs fenêtres pour nous écouter; car nos chants étaient profonds comme la mer et pleins de souvenirs étranges.
Et quand nous marchions ensemble, mon Chagrin et moi, les gens nous contemplaient gentiment et chuchotaient des paroles on ne peut plus tendres. Mais il en est qui nous regardaient avec envie; car mon Chagrin était noble; et j'étais fier en compagnie de mon Chagrin.
Cependant mon Chagrin mourut, comme toute chose vivante, et je demeurai seul à réfléchir et à méditer.
Et maintenant, quand je parle, mes paroles sonnent lourdement à mes oreilles.
Et quand je chante mes chansons, mes voisins ne viennent plus m'écouter.
Et quand je marche dans les rues, personne ne me regarde plus.
C'est dans mon sommeil seulement que j'entends des voix dire avec compassion:
"Regardez, ci-gît l'homme dont le Chagrin est mort."
L'attachement à notre maladie
Ce texte de K. Gibran résume bien tout l'attachement que l'on peut avoir à notre maladie ou à notre tristesse. Je sais que cela peut paraître excessif pour certains qui se débattent avec celle-ci et pourtant.... C'est ce que l'on appelle les les bénéfices secondaires de la maladie. Ils peuvent se caractériser par des avantages d'ordre affectif, familial ou socio-économique. Avoir l'attention des gens sur soi, retrouver des liens familiaux que l'on avait perdus ou avoir un certain statu socio-économique. Les bénéfices sont propres à chacun selon son histoire.
Le point de bascule
Ceux-ci vont perdre leur avantage, lorsque nous atteignons le "fond de la piscine", que nous trouvons que cette situation nous devient intolérable, qu'enfin nous reprenons ce sursaut de vie pour remonter à la surface. Nous commençons alors à entreprendre, à nous mettre en action pour retrouver un certain équilibre.
Ce point de bascule s'opère lorsque le poids de la maladie devient trop lourd à porter et que les bénéfices ne suffisent plus à contrebalancer cette charge.
Merci beaucoup 😊
Article tout à fait intéressant.